© André Kozimor

 

 

ACCUEIL

INSTANTS

REGARDS

POÈMES

APHORISMES

PUBLICATIONS

Traductions

CRITIQUES

DIVERS

Qui suis-je ?

Contact

 

 

 

 

 

 

 

Margo TAMEZ

 

Poète apache

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Indiens d’Amérique luttent contre le terrorisme depuis 1492. Margo Tamez lutte contre le mur du Mexique depuis des années. Tout à coup, Donald Trump arrive, chaussé de gargantuesques pneus Dodge Ram, et le terrorisme d’État civilisé, bien éduqué mais camouflé, devient un terrorisme d’État cynique et provocateur, libéré devant les lâchetés du monde. Les démocraties mondiales tremblent, car la « première démocratie du monde » est en passe de réaliser ce que certaines rêvaient de faire mais sans oser sauter le pas. Netanyahou reprend du poil de la bête colonisatrice, Poutine jubile d’avoir encore plus raison qu’avant, et seul manque Hitler dans ce concert de forces qui écrasent tout ce qui réfléchit. Les citoyens de la « première démocratie du monde », nourris au biberon des valeurs humanistes, découvrent avec stupeur qu’on érige maintenant des murs entre eux, pas seulement entre les émigrés de longue date (blancs et anglos) et les émigrés de fraîche date, pas seulement entre les musulmans et les non-musulmans. Et, bousculés dans la fatigue de leur confort, révoltés, « indignés », ô combien indignés pour la première fois de leur vie, ils sont désormais contraints de se réveiller — de devenir « smart », mais pas dans le sens où voudrait l’entendre leur nouveau président — et de résister. Comme Margo Tamez, qui, elle, n’a pas attendu Trump pour entrer en résistance.

Margo Tamez, en effet, n’a jamais connu le privilège du confort des conquérants, elle pour qui l’éveil a toujours constitué une seconde nature. Mais peut-être qu’elle se verra bientôt gratifiée, elle aussi, de l’étiquette d’« émigrée » sur un continent qui a vu la naissance de ses ancêtres — et leur extermination.

 

André Kozimor

 

 

 

*

 

 

 

 

 

Margo Tamez est une Apache Lipan, née en 1962 au Texas. Elle est poète, critique littéraire et professeur d’université. Elle consacre tous ses efforts à la défense des droits des Indiens aux États-Unis. Elle milite, en particulier, contre le mur que les Américains ont construit le long de leur frontière avec le Mexique, mur qui a détruit les modes de vie ancestraux des Indiens qui vivaient à proximité.

Érudite et brillante oratrice, elle fait exploser les mythes et stéréotypes romantiques sur les Indiens. Violemment opposée à l’extermination-génocide des siens et à la militarisation de sa région, elle est considérée comme l’ambassadrice « indigène » de son peuple — mais aussi ceux des États-Unis, du Mexique et du Canada — aux Nations-Unies.

Ses poèmes s’alimentent en permanence à la nature, comme seul un Indien (ou mieux, une Indienne) sait appréhender cette nature : munificente, mystérieuse, complice. En une langue très riche, cette poésie constitue également un hurlement d’inacceptation contre la violence, physique et sexuelle, des hommes.

Margo Tamez a publié plusieurs recueils de poèmes, notamment Alleys and Allies [« Allées et alliés »] (1992), Naked Wanting [« Désir nu »] (2003) et Raven Eye [« Œil de corbeau »] (2007), ce dernier ayant été proposé pour le prix Pulitzer.

 

 

*

 

 

 

Ma mère retourne à Calaboz

 

En plein vol

 

La cérémonie du peyotl

 

Dépendance au monde des morts

 

Buvant sous la lune elle part d'un grand rire

 

Ce qu'elle sait

 

Entre ces mondes

 

Elle se réveille pour contempler le ciel

 

Après la collision, Corbeau rappelle : Là où nous commençons tous

 

Le poteau de flagellation

 

Romantique

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ma mère retourne à Calaboz

 

(Traduit de l'anglais par André Kozimor)

 

(Tous les autres poèmes sont également traduits de l'anglais par André Kozimor)

 

Rio Grande, Nouveau-Mexique

© Photo André Kozimor

 

« Le Rio Grande Inférieur, connu sous le nom de Seno Mexicano (la Cuvette mexicaine, ou le Renfoncement), servait de refuge aux Indiens rebelles des presidios espagnols, qui préféraient vivre en hors-la-loi plutôt que sous la coupe espagnole. »

Americo Paredes, Avec son pistolet en main.

 

Les os de mâchoires fracassées de mouettes

et leurs dents en forme de peigne

sont parfois rejetés du fond du golfe

jusqu’à la digue du fleuve

et se rassemblent en stries le long des berges

où mon grand-père irriguait de la canne à sucre.

 

Ma mère, qui est rentrée après quarante ans au loin,

se promène souvent à cet endroit,

houspillée par des agents du Service d’immigration et de naturalisation

quand elle court le long du fleuve.

Le SIN pense que, si elle court, c’est pour leur échapper,

que c’est une clandestine,

qui franchit illégalement la frontière du Mexique.

Habituée à l’invasion,

elle leur demande sur quelles conclusions ils se basent,

comment ils savent exactement

si elle est arrivée d’ici ou de là.

Je suis une femme indigène,

née à El Calaboz, vous comprenez ?

dit-elle à haute voix en espagnol,

alors ils déguerpissent à toute vitesse,

les roues de leurs véhicules tout terrain tournant furieusement

et projetant partout du sable dans l’air humide.

 

Quand j’étais petite fille et que je marchais sur la digue,

je croyais voir des dents de mouette

dévorer bruyamment le tapis du sol.

L’air était d’une moiteur vaporeuse,

l’odeur du sable, des racines,

et quelque chose de vivant sous le sol,

plus profond et plus vieux que le souvenir.

Quand j’immergeais ma main à l’intérieur

de l’eau nuageuse,

elle devenait une forme fluide,

douce, quelque chose qui allait bien,

quelque chose des temps anciens.

 

L’air est toujours chargé de chaleur et d’humidité,

et sent le gazole et les herbicides.

Cette odeur me rappelle des gestations qui n’ont pas abouti.

Ma reproduction, celle des plantes, et celle de l’eau,

chacune se débattant dans le même tissu de survie.

 

Quand j’étais petite fille, mon grand-père m’apprenait

à mettre une petite motte de sol dans ma bouche,

et à l’avaler. Je le regardais.

Puis je le faisais.

Je regardais les glissements et virevoltes

des roseaux déracinés dans le courant tranquille du fleuve

vers le Golfe.

Je tendais tout mon corps vers eux,

l’estomac plaqué sur la rive de la digue,

mains et bras étendus comme une acrobate

pour toucher et saisir leurs frêles tiges.

Un jour, mes pieds se sont enfoncés dans la soupe de la fange marécageuse,

et des bruits de gargouillement sont remontés,

comme des algues qui respiraient.

 

Maintenant, je pense que j’aimerais bien courir avec ma mère

quand elle envoie paître la migra *.

Écouter le duo glougloutant de l’eau et de la vie des plantes,

écouter leur voix,

attentivement.

Encore et encore.

 

* Patrouille de frontière américaine. Migratorio et migratoria sont des adjectifs qui signifient « migratoires ». Migra est peut-être un dérivé de l’un de ces mots.

 

 


*

 

 

En plein vol

 

 

 Chiricahua Mountains, Cochise County, Arizona

© Photo André Kozimor

 

 

Les hirondelles bleues happent

libellules damoiselles et punaises

et se laissent porter par le courant chaud qui monte dans le soir.

Ce sont les plus grandes des hirondelles, leur taille

est toute dans la queue.

 

J’accroche de la lessive en automne

sur la fin du jour,

ombres raides des pinces à linge,

leur angle oblique dirigé vers la terre,

et leurs grandes formes en V

bizarrement comme des hirondelles

plongeant et s’entrelaçant à la recherche de nourriture.

Avec le retour des hirondelles bleues,

j’abdique toute ma crainte

vers un passé que je ne puis rejeter.

Je ne veux pas parler, ni faire de prévisions,

ni demander la moindre chose,

mais simplement les regarder

comme elles tirent des fils vespéraux couleur prune lavande

à travers le four embrasé du couchant.

 

Ce soir je prie pour les bisons

qui suivent la piste de ce crépuscule,

un ciel où la nuit est jour

et le jour est nuit et

 

ce que nous disons est poussière

et ce que nous ne pouvons dire

part dans une prière,

où je suis toi

et tu es moi

et nous glissons cela

vers un esprit du troupeau.

 

Et quand reviendra le troupeau

nous serons à étendre du linge sur le fil,

nous contemplerons moineaux et colombes,

nous écouterons les enfants,

quand reviendra le troupeau

nous peindrons les ancêtres,

nous enseignerons sous le bois de fer en fleurs,

nous téterons les tendres seins de nos mères,

quand reviendra le troupeau

nous demanderons la paix

nous demanderons une bénédiction,

nous ferons la paix avec nos mères,

quand reviendra le troupeau

nous ferons du pain pour nos pères et apprendrons à planter le maïs,

nous partagerons notre riche récolte avec ceux qui n’auront pas planté,

nous éliminerons la pauvreté et la faim,

quand reviendra le troupeau

nous vivrons avec moins,

nous donnerons naissance à des bébés chez nous,

nous leur chanterons des chants de bienvenue quand ils pointeront la tête,

quand reviendra le troupeau

nous chanterons pour faire venir la pluie,

chanterons pour guérir notre chagrin,

chanterons à la lune.

 

Je fais une prière pour nous.

Pour que nous chantions comme des colombes inca,

pour que nous regardions les hirondelles portées par un courant d’air chaud

pour que nous puissions être les hirondelles qui attrapent les libellules damoiselles en plein vol

quand reviendra le troupeau.

 

 

*

 

 

 

La cérémonie du peyotl

 

 

 

Dragoon Springs, Cochise County, Arizona

© Photo André Kozimor

 

 

Un oiseau-serpent   frêle forme sinueuse   se détachant

Au-dessus de l’entrée du hogan —

 

Émerge d’un ciel saison des pluies

Aux stries épaisses   rouges et silex

 

Oiseau-serpent en moi   décrit de lentes courbes

Au-dessus de mon lit

 

Le nerf de ce qui ne peut être dit

 

Neuf mois pleins d’océan et de vitellus

Senteurs de poussière d’étoiles de première beauté

 

Une odeur de langue et de lèvre

D’humidité une senteur d’argile de Gila à Snaketown

 

Je suis une flaque d’eau brune et noire   un parfum que je connais

 

—————

 

Tu as passé des heures dans la chaleur torride de midi   à trépigner de rage

Je suis imprévisible   pas le genre d’Indienne   qu’on peut présenter   à

 

Des hommes tous emmitouflés derrière des châles panindiens   des amateurs d’aigles

Qui ne viennent jamais avec leurs femmes pour les prières

Dont les yeux diabétiques dévorent

Mon ventre de femme enceinte

Plein d’un petit garçon oiseau   un garçon corbeau

Mûr de mondes merveilleux

 

Maïs viande et baies

Tu dictes les ordres

Nourriture du matin pour les membres éloignés de la famille   c’est toujours comme ça   dis-tu

La façon dont tu regardes   ne salope pas le travail   ne me fais pas honte   ne parle pas trop longtemps quand tu pries pour l’eau

 

Je ne peux pas risquer mes prières pour l’étoile du matin

Risquer ce que je peux dire sur

Ce médicament qu’une Indienne mexicaine a apporté

Vers le nord   il a été christianisé   par des hommes subjugués

 

Mes prières du matin ne conviennent

Qu’aux oiseaux aquatiques

Aux anhingas et aux hérons

Pas aux hommes ou aux femmes

Vêtus de châles

Qui s’éventent et psalmodient

En chœur ce qu’ils nient

 

À mon corps

Le vitellus de mon corps

Des histoires que nous devons raconter pour défaire

Ce qui a été fait

 

 

*

 

 

 

Dépendance au monde des morts

 

 

 

 

Je soulève mon corps une jambe puis une autre au-dessus de la courbe froide de

la baignoire aux pieds en forme de serres

Comme une canne avec un cocon colossal qui lui est attaché

Une bête et une mutante   voilà ce que je suis

 

Agrippée à la vapeur de l’eau bouillante je

Négocie la peau tendue   une douleur dans le dos   la déchirure de la naissance imminente

 

Que veux-tu

 

Mammouth   un ventre dôme lunaire

Ciselé par des sentiers arachnéens   ancienne colonie

 

Et toi là   petit bébé   tu crois que tu es prêt pour tout ça

 

Chante des notes de soprano   chante des sons d’élévation

Dit la sage-femme

Elle dit vas-y   prends un peu de marijuana   tu vois c’est

l’herbe de médecine sacrée   de nos mères   pas pour faire des bêtises ou

pour l’égoïsme   ne jamais l’utiliser de la façon que tu sais

elle agit impec en profondeur   peut soigner toutes ces blessures

maître mauvais   casse tout   a décidé   de te piéger

ce médicament   te   montrera   les choses qui nous tuent

tous

 

---------------

 

Voilà ce qui est nécessaire   je te sustente

Tu n’es pas prête pour moi   ce qu’il y a ici

Des esprits cruels séparent les petites filles de leur enfance

Des coups de poing tabassent le cerveau de ton frère de l’autre côté du mur

Des yeux de détraqué jaunis par l’alcool   lèchent chaque paire de

Seins dans la pièce

Chez nous le magasin de tabac la veillée l’enterrement la cérémonie le

stand de taco indien —

 

J’ai terminé

 

---------------

 

Continue simplement à dormir sur mon oreiller muqueux

Et ne pousse pas de mon côté

 

Ô   bols de lumière à profusion

Je vois les vérités horribles

Le plus beau des mensonges

Ne pourra jamais faire gober

 

Faire gober

Faire gober

Aux gogos

 

-------------

 

Que sera l’exutoire à tout cela

Où serons-nous

Comment le caveau sera-t-il ouvert

 

Un son métallique   le goutte-à-goutte de la persistance

L’eau dans l’eau qui cherche son niveau

Toujours à la recherche de son niveau

 

Plus de goutte-à-goutte maintenant un courant un mouvement continu

Des atomes unifiés

Des perles des cellules   des fils des cris

 

La maison et le soir qui tombe sont chacun noirs et noirs

 

L’une est une bouche solitaire grande ouverte   l’autre un endroit sûr

Pour prévoir

Le véritable fait de l’esprit quittant le corps

 

---------------

 

Tu pousses pour naître pleinement vivante

Tu appuies fort sur ma dépendance au monde des morts

Qu’une muse me sorte de cette naissance

 

-----------------

 

Les ancêtres planent

Atterrissent sur le remblai où le DDT   l’essence   et le tabac

Ont brûlé la chair de mon grand-père   Emiliano   et alimenté

La résistance de ma mère   Chata

 

Les ancêtres me réprimandent   l’enfant efflanqué qui court à travers

Les champs luisants

Le chiendent le chewing-gum indien les plantes le sorgho sauvage

 

Cireux à force de pulvérisations   les pulvérisations continuelles

Ô liberté de la révolution verte   Ô accumulation de stocks

D’après-guerre

 

Ô   putain   d’héritage   des ethniques pauvres

 

Oh   ce   qu’on   a   pu   se faire   baiser

 

--------------

 

Je traverse la fenêtre ouverture après ouverture

Souvenir sur souvenir enterré   voilà à quoi ça ressemble

 

Les peaux   éclatent   les coutures sautent   et à l’intérieur il y a moi

Une maigre petite fille sombre avec un cerveau sombre et un esprit sombre

 

À la recherche de la Zone déjà vue de l’Écoulement du Temps

À l’extérieur de la crainte

 

Oh personne   ne peut me voir   ou voir ce qui est réel

L’invasion de la pulvérisation qui s’infiltre partout

Qui me suit et coule dans mon sang à travers les décennies

 

Jusque dans ma chambre et le confort de l’obscurité et du sommeil

Je rêve à la façon de faire la guerre contre mes envahisseurs

 

Ô colons de l’empire

Ô voleurs de terres

Ô scalpeurs de mes grands-pères

Ô marchands d’esclaves de mes grands-mères

 

Les livres sont dressés comme des ennemis

Des violeurs   qui seront de mèche pour me tuer

Ils me donnent des coups   je rends coup par coup   pilonne leurs vertèbres

Je fends leurs semences noires avec mon couteau   les petites

Lettres noires éjaculent hors

De leurs enveloppes éclatées et écrasées

 

Mon utérus met fin   aux secousses déferlantes de toi   qui donne des coups de pied

Tu ne feras pas de fausse couche

Pas une fausse couche de plus

Non plus jamais

 

 

 

*

 

 

 

Buvant sous la lune elle part d’un grand rire

 

 

 

Apache Pass, Cochise County, Arizona

© Photo André Kozimor

 

 

Quand la fin fut proche

Il menaça   les mains tremblantes

Ce n’est pas fini   jamais   ses mains dirigées vers mon visage

Tu ne peux pas partir   enlevant sa chemise cherchant son pantalon

Un filet de sueur perlant au bout de son nez

 

Pulvérisation en orbe de lune   reflet métallique   amour vitefait bienfait

Trébuchement ombres nocturnes engourdies

Corneilles perchées sur un réverbère

 

Nous sommes des fourmis terrestres vivant dans la fragilité

Sur le sol sacré des Huhugam

Voix discordantes de nos morts

 

Comme des chats effilochés mes fantômes et moi

Bavardons dans l’allée derrière un bar

Mes yeux saisissent les leurs   une étincelle   une révolution

Des pieds sans traces sur le gravier

 

Notre existence effacée   très loin

Des bouteilles de bière qui tintent et la vanité

 

Sur le banc extérieur d’une librairie

Nous sommes effacés   voyez les nouvelles de la rue

La résistance qui se fait laminer

 

Mes fantômes préférés et moi nous poussons plus fort   nous nous enfantons nous-mêmes

 

Sur le banc extérieur d’une librairie

Le vent frigide veut happer nos secrets

Hey nay ya na ya na ya na

Je vous remercie pour votre présence

Mes fantômes   Je vous remercie pour votre présence

Hey nay ya na   ya na   ya na   ya na

Ce dilemme oh ancêtres

Ô ! ancêtres !!!! Merci merci merci

Hey nay ya na ya na ya na ya na

 

Je suis toujours la Lipan Jumano métisse boursière fédérale

Personne ne voit   personne ne reconnaît   une invisibilité

Qui traverse à toute allure les postes de contrôle

Les villes frontalières   les voies ferrées   les largages de pesticides   les files d’attente de l’aide sociale

 

Les ailes qui changent de forme

Le venin du scorpion m’injecte pour la nuit

 

La diode verte les spasmes du clic clic supprimer couper coller

putain mais fais quelque chose fais quelque chose d’autre

 

Un orgasme de lumière sur le bord glissant

Une bonne époque pour mourir

Et vivre en se répandant comme une osmose

 

Grand-mère qui trébuche lapin sur la lune

Avec toujours cette expression de chagrin sur son visage

Fais les herbes médicinales

Sois artistique

Fais ce qui est nécessaire

 

 

 

*

 

 

 

Ce qu’elle sait

 

 

 

Cochise Stronghold, Dragoon Mountains, Arizona

© Photo André Kozimor

 

 

Elle sortit et les yeux de la nuit

La contemplèrent comme elle se soulageait sous un mesquite

En observant une étoile filante strier le ciel

À la poursuite du soleil

Pour ensuite revenir et donner une future lumière

Qui ensemencerait le cœur érodé de l’étoile

 

Elle sait qu’elle ne sait pas pourquoi

Les premiers enfants du père dédaignaient tant les siens

Et haïssaient car la haine est la recette du monde

Qui justifie la douleur   la méfiance   rien d’autre à faire

 

Pourquoi le père était assoiffé de faillite

Attirant les petits en leur faisant des crocs-en-jambe avec des fils de fer

Méprisant il était une source d’inspiration dans un ordre hiérarchique conçu

Pour lui apporter de la compagnie en bas de son échelle

Il n’en démordait pas et ne voulait pas voir que ce n’était pas là la seule voie qui menait aux étoiles

Il ne voulait pas croire que d’autres moyens existaient

En dehors de l’asservissement aux craintes et aux échecs

 

Devenu l’esclave il construisit les représailles comme un sanctuaire

Corrompant ses fils et toutes les générations

Qui passaient outre au corps d’une fillette

 

Corbeau   avec   la beauté   tout   autour   de lui

Cerna l’indicible

Et saisissant fermement les vestiges de ce qui subsistait

Dans un monde où il ne restait que peu de choses qu’on pouvait nommer

 

Corbeau déploya l’arbre à l’intérieur de son cœur

Comme le mesquite au pied duquel sa mère

Avait enterré les enfants de ses fausses couches

Qui n’auraient jamais eu la moindre chance contre le DDT et les puits empoisonnés

 

Il l’avait regardée envelopper leurs corps   en bas   en bas

Près des racines de l’arbre

Son arbre tout comme son arbre à elle avaient fait pleuvoir de petites feuilles et le pollen

D’oiseaux chanteurs qui murmuraient à la mémoire

 

 

 

*

 

 

 

Entre ces mondes

 

 

 

 

Je les ai vus sauter par-dessus des clôtures la nuit

devant des voitures qui faisaient du cent dix

sur une route à deux voies.

 

Ils traversent les entonnoirs des phares galopant et bondissant,

et se réfugient dans un léger brouillard entre ce monde

et un bas-côté d’obscurité en pente douce.

 

Mon mari affirme que les troupeaux

sont dirigés par les chevaux esprits

sauvages aux yeux de lumière.

 

Je le crois.

Nous avions coutume d’entendre

la course de leurs sabots

près de notre fenêtre

par les nuits de lune croissante.

 

Nous nous disions que c’était là leur façon

de nous accepter

dans la vallée déserte.

 

Nous étions au lit,

et restions immobiles pour écouter,

pour sentir les vibrations

de leurs sabots qui frappaient

le sol.

 

Je me mettais debout dans le lit

et regardais par la fenêtre,

le clair de lune montrant de raides étendues de queues-de-renard.

Je reprenais ma place. Mon mari remontait la couverture,

sa longue jambe au-dessus de ma hanche,

m’attachant à lui et à ce monde.

Il se laissait gagner par le sommeil,

mais je ne pouvais pas, toujours en proie à mes questions.

 

Maintenant je ne les entends plus

la nuit

qu’elle soit éclairée par la lune ou pas.

Il y a moins de magie

sans l’annonce galopante

de la résistance.

 

De sombres nuages passent

silencieusement au-dessus de la montagne.

L’immense pierre se déplace

vers le troupeau. Habitants des montagnes

tout l’hiver. Les yuccas et les chollas

les poussent doucement à venir plus près vers les arroyos peu profonds

où ils se nourrissent.

 

Je les vois à travers la fenêtre de la cuisine,

alors qu’ils sont loin.

Leurs museaux broutant le seigle sauvage

là où le brouillard drape la montagne.

 

 

 

*

 

 

 

Elle se réveille pour contempler le ciel

 

 

 

 

La nuit dans la réz pas de lumières

Pas de lumières   la   nuit   pas d’électricité

La nuit   pas d’eau courante   pas de sanitaires

Rien de mouillé   sauf moi   la nuit   je pisse dehors

Sous les étoiles   elles brillent davantage   dans la réz

La nuit   parfois   je vois   des ondes des auras des OVNI

Sous les étoiles   tous les témoins meurent   dans l’obscurité

Quand ils meurent   la nuit   et que j’ai fini   de pisser

Je me tiens debout   sous les étoiles

Debout toute nue   la nuit dernière   j’ai vu cette étoile

Vite vite   elle filait   d’est en ouest

D’est   en ouest   cette lumière rapide filait

Goule   extra-terrestre   ancêtre   idiot

Un témoin rapide   strie le ciel

Crache et caquette

Fend la lueur argentée   la nuit   je prie

Notre Dame   de la   Dissidence   un   tourbillon   noir argent   cinglant

Des appels stridents   font exploser sa membrane   qui donne naissance

Un corps aux plumes noires   bat l’air   les os de ses ailes craquent

Le dos sec et incrusté de la rivière Gila

Entre en collision   avec   l’œil de la caverne rocheuse

De la montagne M   que les anciens appellent toujours

L’endroit sacré   où le corps esprit vérolé de Moctezuma

Retourna chez lui

 

 

 

*

 

 

 

 

Après la collison, Corbeau rappelle : là où nous commençons tous

 

 

 

 

Je suis le sexe entre les épines   le parfum

Et une pulsation

Qui demeurent à jamais sur les lèvres des esclaves Lipan

capturés   violés   engagés en servitude   paysans espagnols   réfugiés Jumano

 

Fertilité   possibilités   questions   provocations policières

Alimentent ce souvenir comme un mode d’emploi :

haïssez-les   haïssez-vous vous-mêmes   serrez plus fort la vis   répétez

 

Mes ailes reviennent… une… deux

Sur un cri mouillé et glissant   d’os et de retour   de la mémoire

 

Là où commence l’univers

Là où commence l’univers   là où commence l’univers

Là où nous commençons tous

 

 

 

*

 

 

 

 

Le poteau de flagellation

 

 

 

 

Savons-nous comment nous parvenons à un silence raisonnable

 

Les moussons et l’inévitabilité arrivent comme des ouragans

Associés à des vents obliques   de fines plaques planes   l’acier sombre

Santana qui chante à tue-tête ce dont tu as besoin est ce dont tu as envie

Fenêtres cassées   couteaux de verre qui pendent

À l’étoupe de calfatage

Cliquetis cliquetant   et une embrasure de porte élargie de force

Empalée par une planche fendue

 

Des impacts de grêle des petits o sur la plaine détrempée

Un lac   de petites bouches

Et le vent qui les emporte au loin

 

Ce dont tu as besoin est ce dont tu as envie

Ce dont tu as besoin est ce dont tu as enviiiiiiiiiiiie

 

Un chant mojave de tempête un poison mojave qui encre le ciel

Dans des écailles de diamant qui donnent naissance à des serpents à mille têtes

Et un serpent lumineux s’éveille avec un large sourire

Ses couleurs voletantes fusionnent les pierres fractales les volcans

Les flancs des collines   les rêves   les chants   le désir   détruisent   mon   antiquité

 

Ce qui remplit ce vide par rapport aux   vides passés

 

Nous n’avons pas toujours   l’occasion   de le savoir

 

Les mains de la tempête se referment   et redonnent forme à la

Dissonance et à la dissidence entre la pluie battante et la rage

Les rassemblant toutes deux entre ses misérables paumes   serrant

Les deux l’une contre l’autre à poings fermés

Comme des pierres de chance précieuses   tirant des présages

Entrechoquant les os magiques   des heures durant

 

Le poteau du porche était une ancre   et un poteau de flagellation

 

Et il n’y avait que deux possibilités : la première était boiteuse et gémissante

 

La seconde   était d’affronter la tempête   ne pas attendre

Ou ne plus croire à   la sécurité   ou   à la délivrance

Simplement passer directement à l’action

 

La pluie qui me cingle le serpent qui nous envoie du vent

Qui me pousse contre   moi-même

Et   une embrasure de porte de guingois

 

—————

 

Quand il est arrivé ici en voiture pour retrouver

Une manière tordue de retomber dans le pire des choix

Après la tempête la plus épouvantable   de la décennie et de la réz   la boue qui voltigeait

Et son visage nu comme la cendre   visible   entre

Quatre immenses cerceaux de boue

Les pneus de son pick-up qui tournaient comme des mixeurs,

j’étais sous le porche à regarder fixement

 

Les étoiles au-delà de la mâchoire de silex du ciel

Debout dès la première lueur   de l’aube   jusqu’au   crépuscule

Appuyée sur la pelle   prête à frapper   avec

Tout ce qui pouvait protéger

Il ne posa aucune question sur les vêtements détrempés   qui aspiraient

La forme de mon corps

Encore mûr d’un accouchement récent   le bébé perché

Près d’un petit feu   dans un panier

Que j’avais fait avec des morceaux de chaise   mâchonnés

Par un vent affamé

Ni sur les marques de la force éparpillée par la terre

 

Corbeau   Jeune fille maïs

 

Échardes gémissantes

Sur ce nouveau plateau où l’océan   à des centaines de kilomètres et

Des siècles de là

A été aspiré dans le rectum desséché   du désert

 

Comment les deux enfants   leur chaos de mémoire

Chapardent une cachette dans la crevasse

Entre l’eau et la nuit

Passant en revue les éternelles divisions   les éruptions

Hument le   premier souffle de l’aube

Les lunes bleues   la perturbation

 

Maintenant la ruine de la tempête n’est plus qu’un bourbier   pantelant

La respiration épuisée   d’un vieux travailleur

Qui aspire au repos

 

—————

 

Ce qui   n’était qu’une illusion de plus

Un autre ciel qui s’ouvrait   et quelque chose d’autre

Venait par ici

 

 

 

*

 

 

 

Romantique

 

 

 

 

Les anneaux du serpent taureau de près de deux mètres musclent le sol

en boucles et fouillis. Sa queue est étroite,

pointue, et tendue.

Je suis soulagée que ce ne soit pas un serpent à sonnettes.

 

Je me tiens immobile au-dessus de lui,

d’accord, pas de problème, tu restes là,

je m’éloigne sur le sentier,

toute sa longueur est enroulée autour

des tiges des dernières Roprecos de septembre,

tomates restantes sombres, humides,

fraîches, près de la terre où une odeur suave

laisse entendre que tout est en train de pourrir : romantique.

Les troncs phosphorescents enflés comme des gorges

qui vomissent des perles vertes de rosée de solanacée.

 

Le lézard sous les fleurs du vitex

aux jupes violettes possède une gorge

à mi-chemin entre la naissance et la contraction.

Il frétille comme un scrotum,

S iliaque sinueux de côlon, cambrures

sur le haut et le bas des ondulations de la chair.

Les yeux noisette du lézard sont des fentes horizontales

comme un secret dans ma tête

le même lézard que je vois sur le visage de mon mari.

 

Est-ce la dernière pluie de la saison

ou est-ce l’automne ? Je ne sais

quand une saison, un moment,

une respiration

est tant soit peu différente

de ce qu’elle est. Le changement

est tout simplement un changement.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

Retour "DIVERS"

 

 

 

  Mis en ligne le 11 septembre 2012.