|
|
||
© André Kozimor |
|||
|
Lou Paraïs
Manosque © André Kozimor
Vous devez redescendre, nous avait-on dit là-haut, et tourner à gauche juste après le canal. J’imaginais de lourdes, tranquilles péniches pansues glissant entre des vents de peupliers et je me voyais les chercher au milieu des tuiles rouges en contrebas des Vraies Richesses. Il me fut pourtant aisé de diagnostiquer que le mince filet d’eau suspendu à mi-hauteur le long d’un sentier battu par des pas de piétons pouvait tenir lieu de canal. Ça commence bien, m’étais-je dit.
La grille est grande ouverte et nous laisse entrer. J’ignorais qu’il fallait prendre rendez-vous pour la visite. Mais on nous autorise à rester. Des ouvriers se démènent dans les éclaboussures d’un grand bac à fleurs. Pour repêcher des nénuphars, répondent-ils à la dame qui s’apprête à nous guider. Ça commence bien, me dis-je.
Alors le souffle des coteaux s’engouffre avec nous dans la maison. Il nous ouvre des portes et soulève des voiles, impérieux, tamisé, sans trépidation aucune. Le savoir-faire du silence qui laisse parler les choses. C’est trop simple, me dis-je, c’est louche.
Et puis toutes ces années de jeunesse qui reviennent. Les miennes. Personne ne savait que je lisais du Giono. Pourquoi en aurais-je parlé, et à qui ? C’était un jardin secret qui allait de soi, qui n’avait guère besoin d’être verbalisé. Un jardin aux dimensions d’une région qui, pour moi, aurait pu être aussi bien la Patagonie ou la Terre de Feu. Quelqu’un qui disait enfin les souffrances de ce qui ne pouvait être dit. Qui l’écrivait. Sans la moindre honte. Nature qui exalte mais aussi nature qui écrase, joie et harassement, enthousiasme et désespoir. Désormais l’identification avec les arbres, les fleurs, l’air, l’inconnu portait un nom. Pourtant, toujours ce reste de pudeur vis-à-vis du prononcé, la frayeur devant le déballé. Mais la douleur de vivre qui par écrit reste couchée.
Et puis aujourd’hui la rencontre du hasard. Sylvie Giono et des amis communs, bien que nous ne soyons pas réunis par le simple hasard. Les lourdes péniches ventrues montent vers le mince filet d’eau. L’air est lourd de la présence des Giono, léger de la présence d’une Giono. Peu de choses seront dites mais beaucoup sera dit. L’effleurement sans le grandiloquent. C’est trop simple, me dis-je, c’est louche.
Mais pourquoi douter des ombres ? Je viens d’esquisser un pas dans un jardin, et le mien se peuple soudain de présences, même si, plus bas, au loin, Manosque, si proche autrefois, me semble encore si lointain.
Tout se tait et tout me parle. C’est moins simple que je ne croyais. Il faudra que je revienne à mes premières lectures.
|
||
Mis en ligne le 11 septembre 2012. |
|||
|