© André Kozimor

 

 

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Oasis

 

 

 

 

 

 

C’est une oasis carrée de verdure où il fait bon s’asseoir sur la terrasse, même si, en ce moment, un vent frais souffle latéralement. Aucun bruit, sinon les bruits de certains jours, qui prennent aujourd’hui une couleur particulière. Un voisin tond son herbe rare, sablonneuse, mais la tondeuse — électrique — n’insiste pas et ne gêne pas. Un autre voisin donne des coups de marteau lointains, sur de la brique creuse ou de la tuile pleine, qu’importe. De nombreux merles invisibles chantent et se répondent, dans les pins, les buissons, les broussailles. Mais surtout le vent fouette les cimes des arbres, qui continûment se balancent, se balancent et bercent l’oreille.

Il y eut une éclipse de soleil à cet endroit, il y a plusieurs années, qui, là-bas, alimenta la futilité d’un monde fatigué par l’excès de confort. J’ai le simple souvenir d’une baisse de lumière pendant quelques minutes et de mon indifférence à cet énième moment historique. Aujourd’hui, plutôt qu’une éclipse de soleil, c’est une éclipse de lumière qui domine. Et pourtant, de la clarté fuse de toutes parts, tamisée, non conflictuelle. Le privilège de se savoir seul à cet instant précis, une solitude exceptionnelle.

La tondeuse s’est arrêtée pour de bon, le marteau a été remisé pour de long. Il serait inopportun de parler, indécent de s’exprimer. Le vent continue d’accompagner, les oiseaux d’appeler.

Il est une oasis carrée de verdure où il fait bon s’asseoir sur la terrasse quand il n’y a rien de précipité. Les bruits y vont et viennent au gré du vent et de la sérénité.

Là-bas, au loin, à mille quatre cents kilomètres, les bruits y vont et viennent au gré de l’anxiété. Nous les avons quittés exceptionnellement tôt vers la fin juin pour nous réfugier dans ce désert vers le début juillet.

Quand viendront les premiers instants de la retraite, il faudra cultiver le souvenir de toutes ces années où l’on ne savait que travailler. Les enfouir toujours plus profond dans le souvenir et s’empresser de les oublier.

C’est une oasis carrée de verdure.

 

Le lendemain matin, après une première nuit de pionnier passée dans ce désert, un soleil de rosée découpe les premières formes et allonge les ombres. Une belle journée en perspective, avec la civilisation tenue à distance. Mais déjà, une voix de radio transperce la fraîcheur, les phrases répétées d’un cours de langue, puis le générique de L’Été avec la radio, immuable depuis des décennies. Des échos plus lointains, identiques, accompagnent le réveil d’autres voisins. La routine de ceux qui habitent le désert en permanence. Faudra-t-il recommencer à vivre avec les boules Quiès ?

Il était une oasis carrée de verdure.

 

Dans l’après-midi, excédés par la distillation gangreneuse des décibels, nous laissons un message écrit sur la barrière de nos voisins, à qui nous avions déjà transmis une requête orale. Leur immense radio vocifère sur un parapet de fenêtre, personne alentour, nul ne l’écoute mais chacun l’entend. Une radio philantrope et gratuite.

À notre retour de promenade en vélo, nous découvrons que tout s’est tu. Un silence inhumain.

Ce silence continuera peut-être demain.

 

Ce sera une oasis carrée de verdure.

 

 

 

 

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  Mis en ligne le 11 septembre 2012.