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Dragoon Springs, Arizona

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La route est toujours aussi poussiéreuse, non asphaltée. Blanche, grise et rouge, comme l’an dernier, avec le même soleil, une énergie intacte, une émotion retrouvée.

Une marche de plusieurs kilomètres rythmée par l’entrechoc, d’abord sonore, puis soyeux, des glaçons dans la précieuse miniglacière logée sur le dos. Nous marquons des arrêts innombrables, photos obligent. Puis, folie non prévue, après avoir fait le compte de nos réserves d’eau et de nos forces, nous bifurquons vers une colline qui surplombe le cimetière. La vue porte loin, qui ratisse les coteaux couverts d’arbustes épineux maigrichons. Les quelques arbres qui ont pu survivre se sont agglomérés le long du cours d’eau, complètement asséché en ces mois de canicule. Ceux qui ont tenté de survivre à flanc de colline sont calcinés par la sécheresse. Un spectacle de désolation, mais la vie grouille entre les pierres, les brindilles cassantes et les longues lamelles des agaves. Nous raclons régulièrement le sol et les herbes bruissantes avec nos bâtons de marche pour avertir les serpents à sonnettes de notre présence. Des roseaux poussent en touffes au sortir d’un lacet du chemin. Ils pouvaient servir de flèches. Je tente de briser une de leurs tiges mais elle est plus dure que je ne croyais et je me blesse au pouce gauche, qui commence à saigner.

Nous redescendons et faisons une halte à l’ombre du seul arbre demeuré dans les ruines du fortin situé à quelques centaines de mètres du cimetière. Nos amis de Chicago, un jeune obèse transpirant et un vieux réservé, ne sont plus là. L’ombre n’est pas dense, mais le treillis des branches suffit à tamiser le feu qui tombe du ciel.

Nous nous remettons en route et pénétrons dans le cimetière. Les tombes sont toujours là. Elles nous attendaient et semblent heureuses de nous revoir. Ont-elles ressenti le même plaisir en voyant nos amis de Chicago s’ils sont repassés ici cette année ?

Plus loin, le sentier suit des défilés de rocailles, labourés il y a plusieurs décennies par les feux croisés des militaires et des Indiens, fusils et canons contre lances et flèches. Puis, tout à coup, surgit une petite oasis, un mince filet d’eau resté d’une source autrefois convoitée. Le silence est, ici, plus dense que jamais. Un endroit idéal pour une embuscade, mais aucune âme qui vive ne vient nous menacer.

Nous finissons par atteindre Fort Bowie. Partout, des ruines de pierres. Le bois des baraquements a brûlé ou a été emporté. Un immense drapeau américain flotte en haut d’un interminable mât en métal. Difficile de ne pas le voir car il claque au vent en cliquetant, obstinément.

En face, sur la gauche, la solitude d’un refuge de ranger domine une minuscule butte. Nos pas se précipitent vers un robinet planté au milieu de la fournaise. Mais l’eau en est brûlante et ne peut soulager que notre visage couvert de sel.

À l’intérieur du refuge et le long de sa terrasse de bois en surplomb, l’ombre est authentique mais la chaleur ne l’est pas moins. À défaut de climatisation, les portes ont été grandes ouvertes et le courant d’air illusoire ainsi créé vient s’ajouter au souffle vrombissant d’un ventilateur fatigué. Dans un coin de la pièce, tout à la fois musée et magasin, trône un buste de Cochise, imaginé par une artiste, car aucune trace visuelle du chef apache n’a été sauvegardée. Le ranger lui-même est Indien. Jicarilla. Il nous parle longtemps, car peu de visiteurs lui adressent la parole, et il suffit de l’écouter. Quand il apprend que nous nous rendrons le lendemain dans les montagnes Chiricahua, il nous y donne rendez-vous car il devra justement y vaquer à des affaires. 

En contrebas, des touristes sautillent et piaillent au milieu des ruines pierreuses.

J’aperçois tout à coup deux ombres déjà vues. Nos amis de Chicago ? L’un d’eux s’éponge la nuque et le front avec un immense mouchoir, mais il n’est guère obèse, plutôt âgé et réservé. Le second, pas de doute, fait dans l’obésité mais ne transpire pas. Il mitraille les ruines avec son numérique.

« Il faut être fou pour venir de Chicago jusqu’ici », nous confie l’Indien.

La clarté incandescente du ciel prend soudain des couleurs de gris. Le ranger nous invite à ne pas traîner. Mais il est déjà trop tard. Nous avons beau courir sur le chemin du retour, l’averse n’épargnera pas les rares vêtements que nous portons. Éclairs et roulements de tonnerre se succèdent mais loin de nous, sur des sommets et des pentes qui, en leur temps, furent témoins d’autres éclats. Pourquoi la foudre ne menace-t-elle pas là où nous courons ?

Une chose est sûre, aujourd’hui a été un nouveau jour de canicule.

 

 

 

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  Mis en ligne le 11 septembre 2012.